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« L’Etranger. Un essai de psychologie sociale, suivi de L’Homme qui rentre au pays » (The Stranger. The Homecomer), d’Alfred Schütz, traduit de l’anglais par Bruce Bégout, Allia, 80 p., 7 €.
La réédition, plus de vingt ans après sa première parution en français, de L’Etranger, écrit par le philosophe et sociologue d’origine autrichienne Alfred Schütz (1899-1959), vient à un moment où s’amorce en France la réception de cette œuvre majeure. Comme naguère celui de son contemporain et ami Siegfried Kracauer (1889-1966), son accueil tardif semble se placer à l’horizon d’une autre réconciliation : celle de la philosophie et des sciences sociales, qu’une certaine habitude hexagonale a eu trop tendance à opposer.
Le travail d’Alfred Schütz se situe en effet au carrefour de la phénoménologie d’Edmund Husserl (qui étudie la manière qu’ont les choses de se manifester à la conscience), dont il fut proche, et de l’analyse que des sociologues comme Max Weber ou Georg Simmel ont produite de la société. Son parcours se marque d’une autre originalité, qui se ressent dans tous ses écrits et leur donne une coloration spéciale : Schütz n’appartint jamais à l’université et, presque jusqu’à sa mort, exerça la profession d’avocat d’affaires et de juriste dans des compagnies privées.
Les deux articles qui composent le volume, « L’Etranger » et « L’Homme qui rentre au pays », respectivement parus en anglais en 1944 et 1945, se ressentent de cette biographie singulière. Issu d’une famille juive, Alfred Schütz fut contraint à l’exil quand l’Allemagne nazie absorba l’Autriche en 1938 et c’est cette expérience qu’il traduit en termes théoriques dans ces textes courts mais denses, celle de tant d’autres intellectuels de son temps, tels Hans Jonas ou Hannah Arendt, qu’il devait rejoindre à la New School for Social Research de New York. Cette « autosociologie » silencieuse, qui aborde la difficile transition de l’univers culturel européen et germanique au monde anglo-saxon, où Schütz finit par rester jusqu’à sa mort, esquisse une philosophie de l’exil moderne, impossible à surmonter.
Impossible, selon Schütz, moins du fait d’une différence ethnique, linguistique ou civilisationnelle entre le nouvel arrivant et le peuple hôte qu’à cause d’une répartition différente de l’ordre des « pertinences » entre eux, c’est-à-dire du degré de connaissance requis pour les objets de la vie quotidienne. Le natif du pays, sans avoir besoin de connaître son prochain, anticipe sa réaction vraisemblable. « Il présume que son compatriote comprendra sa pensée s’il l’exprime dans le langage courant et qu’il répondra en suivant la même règle, sans se demander comment cette performance miraculeuse peut s’exprimer », explique Schütz.
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